projet de rapport congérence M D S

Publié le par Daoui

PROJET DE RAPPORT

POUR LA CONFÉRENCE NATIONALE DU MDS

1/La conférence nationale des cadres qui nous réunit est une instance formelle du MDS. Sa vocation est de procéder à une évaluation de notre ligne stratégique et de l’affiner, en intégrant les évolutions tant internationales que nationales. Bien sûr, nous pouvons nous satisfaire d’avoir fait l’essentiel, d’avoir correctement identifié la nature du régime de Bouteflika, et ce malgré les flottements dû à l’ambigüité de son discours ou à la crise qu’a connue le MDS. En particulier, nous avons su voir que si le Président fait tout pour contrarier l’émergence de la 2ème République, le système instauré depuis son accession au pouvoir n’est déjà plus celui de la 1ère République, basée sur la seule légitimité historique. Mais si nous avons, effectivement, fait des anticipations correctes des évolutions nous ne nous sommes pas toujours montrés disposés à l’audace théorique. Et quand nous n’avons pas fait preuve de frilosité nous avons parfois cédé à la tentation de la fuite en avant. Des confusions sont ainsi apparues dans l’unité que nous faisons entre stratégie et tactique et dans la mise en œuvre de notre stratégie des deux fers au feu qui doit garantir une issue démocratique aussi bien à une nouvelle période de transition qui serait engagé en cas de rupture due à un aiguisement de la crise, que dans le cadre de l’investissement de la société et des institutions pour créer un rapport de force plus évolué à travers le processus démocratique formel. Il nous faut donc enrichir notre réflexion car ce travail va nous permettre de mobiliser nos forces dans la perspective de la présidentielle. Enfin cette conférence nationale constitue un jalon décisif dans la préparation du congrès de refondation que nous nous sommes engagés à tenir dans les 18 mois qui suivent le dernier congrès du Mouvement.

LE BILAN

2/Contrairement à ce qu’il a voulu faire croire- en actant une prétendue opposition avec l’ANP - Bouteflika s’est révélé être la chair de la chair du système. Alors qu’il se revendiquait d’une connaissance fine du système qui lui permettrait d’en venir à bout, il a en réalité louvoyé non pas contre le système mais pour masquer sa volonté implacable de le sauvegarder. Face à une société qui s’était mobilisée pour affronter le terrorisme islamiste, l’arrivée de Bouteflika a sonné l’heure de la contre-révolution et de la restauration. Il a prétendu défendre la souveraineté de l’Algérie et s’est déployé au plan international en profitant des faiblesses du précédent pouvoir sur ce terrain, parce qu’il espérait, ainsi, obtenir le soutien des patriotes et des démocrates à sa politique d’amnistie de la barbarie intégriste. Il est clair, aujourd’hui, que Bouteflika n’est cependant venu que pour maintenir les positions de monopole politique qu’exige la fuite en avant néolibérale d’un système qui reste adossé à la rente. Ce sont ces intérêts qui dictent sa stratégie, fondée sur le refus de tout changement et la recherche constante de moyens de légitimation. L’alliance avec l’islamisme, sous couvert de réconciliation nationale, a été un de ces artifices.

3/Le compromis avec l’islamisme recouvre autant des aspects stratégiques que tactiques. En considérant qu’il visait à repêcher l’islamisme, nous n’avons pas vu, à quel point, le pouvoir a utilisé l’islamisme contre le terrorisme et le terrorisme contre l’islamisme. A quel point, autant l’incorporation du MSP dans l’Alliance présidentielle que l’existence d’un terrorisme « résiduel » ont contribué à discréditer politiquement le projet d’Etat théocratique. N’avons-nous pas, ainsi, sous-estimé le cynisme du pouvoir, sa froide résolution à conserver, par tous les moyens, une hégémonie absolue ? Dans le même ordre d’idée n’avons-nous pas, par la suite, surestimé la nouvelle conscience de la société, son rejet de l’islamisme, alors même que les conditions objectives de son autonomie sont restées inexistantes ? Heureusement que nous sommes, cependant, restés attentifs à l’instrumentalisation de la religion par le pouvoir qui relativisait la récusation de l’islamisme par la société.

4/Il apparaît que l’arrangement avec l’islamisme n’est pas conjoncturel, qu’il est stratégique et résolu, édifié sur une base commune (aussi bien idéologique, politique et économique). Le caractère antagonique de la contradiction entre la ligne du pouvoir et la logique islamiste semble, en effet, en passe d’être dépassé. Il s’agissait pour Bouteflika autant de gommer les contradictions entre islamistes et démocrates (renvoyés dos-à-dos), qu’entre les islamistes et le pouvoir. On comprend pourquoi ce dernier n’a pas choisi de renforcer le courant démocratique pour trouver une alternative à son alliance avec l’islamisme. Il ne renoncera pas à cette alliance mais veut l’approfondir en s’emparant de sa base et en défaisant ses appareils, pour digérer cette base. Il espère que les attaques contre le courant salafiste l’aideront dans cette tâche. En même temps il a besoin de maintenir, formellement, l’existence de ce courant et de ne pas permettre sa défaite politique définitive tant qu’il n’aura pas eu une base autonome qui lui permette d’affronter seul les courants démocratiques. Cependant si le pouvoir prétend prendre le pari d’amener l’islamisme à se transformer à la manière de la démocratie chrétienne, il faudra qu’il explique comment il pourra éviter de se heurter à une contradiction majeure : nous ne sommes pas dans une démocratie.

5/Il est important de rappeler à quelle usurpation s’est livré le pouvoir en niant le rôle de la société aux côtés de l’ANP dans la résistance au terrorisme islamiste. Mais il faut faire, aussi, le constat que la paix a été réduite à l’ordre public et que c’est au nom de son maintien qu’aujourd’hui le pouvoir peut se livrer à la répression de tout mouvement de protestation sans jamais avoir à s’interroger sur le bien-fondé des revendications de la société. On a d’ailleurs vu avec quelle violence a été réprimé le mouvement citoyen en Kabylie, même si aujourd’hui la DGSN se satisfait du caractère procédural qu’a pris la répression et d’un pseudo professionnalisme dont on peut largement douter quand on voit à quelles manipulations elle s’est livrée dans l’enquête sur l’assassinat de notre camarade Kerroumi. Le résultat c’est que le pays est toujours en proie aux affres de la division et ébranlé par la crise. La question lancinante de la stabilité constitue d’ailleurs un révélateur et un des critères les plus pertinents d’appréciation de la tendance d’évolution. Chaque échéance électorale permet de vérifier à quel point les algériens considèrent que le pouvoir n’a pas réglé cette question de manière définitive. Mais est-il concevable que le pouvoir permette l’existence d’institutions crédibles et stables quand l’instabilité est sa propre justification ? En effet, cette instabilité provoque aussi bien le rejet du pouvoir qu’elle est un moyen qui lui permet de s’affirmer. Au mieux il fait d’une solution alternative au sein du système un recours, ce qui revient au même, car en dernière instance c’est tout le pouvoir qui en profite.

6/L’affrontement avec le terrorisme islamiste a entraîné une concentration du pouvoir. Cette logique a été poussée à son paroxysme avec Bouteflika. La dérive despotique c’est la répression et la corruption, mais c’est, aussi, l’instauration du contrôle des nominations et du pouvoir judiciaire, c’est le Président qui s’empare des pouvoirs du premier ministre, bafoue le parlement … Il concentre les différentes formes de pouvoir et redistribue les ressources selon des formes « personnelles » (privilèges pour ses clientèles, saupoudrage dans les wilayas…) propres à susciter des formes d’attachement personnelles. Non seulement Bouteflika n’a pas su rompre avec le régionalisme, le clanisme, le népotisme mais le pouvoir semble autant avoir exacerbé que concentré tous les archaïsmes. L’Etat despotique se présente comme la propriété personnelle du clan présidentiel qui semble obéir à un mode de gestion et de reproduction basé sur l’allégeance. Il perpétue ainsi un mode de pouvoir antinomique à celui qu’il prétend instituer au gouvernement (avec la mise en avant de technocrates qui répondraient à des critères de mérite et de compétence). En vérité la contradiction n’est qu’apparente car les uns et les autres émargent au même système clientéliste.

7/Bouteflika dépossède des pouvoirs privés au profit d’un pouvoir privé. Le renforcement de l’Etat despotique se fait par l’expropriation politique des puissances privées, de l’armée, des notables, des détenteurs du pouvoir local et des propriétaires des moyens financiers qui pourraient intervenir politiquement. Le pouvoir résiste cependant à la parcellisation en gouvernant par l’intermédiaire d’agents qu’il nomme et révoque à sa convenance. Nous avons d’ailleurs un parlement qui ressemble plus à la curie royale qu’à une institution d’un Etat démocratique et la dernière requête des députés qui réclament une augmentation et un passeport diplomatique rappelle la manière dont on sollicitait le Roi. La disparition de tous les pouvoirs intermédiaires de l’Etat issu de l’indépendance s’accélère, entraînant des mouvements de protestations à l’intérieur du pays où les notables ne jouent plus le rôle d’intercesseurs. Les derniers événements de Ghardaïa sont d’ailleurs une illustration de ce discrédit de toutes les formes de représentations (institutions, partis, notables…). Face à cette montée de la contestation citoyenne, Bouteflika s’est servi de l’Alliance présidentielle, tout autant qu’il a utilisé la société pour limiter le pouvoir des partis et des corps intermédiaires. C’est dans le prolongement de cette orientation qu’il a instauré un gouvernement de technocrates qu’il oppose aux politiques. Il évite ainsi d’être concurrencé par des chefs de partis réduits à l’impuissance politique. Mais, en affaiblissant la légitimité de ses adversaires, le pouvoir n’a pourtant pas réussi à résoudre le problème de sa propre légitimité.

8/Formellement, Bouteflika s’est assuré le contrôle de la bureaucratie. En particulier de l’institution la plus cristallisée, à savoir l’ANP. Mais il paraît se retrouver face à une contradiction : il dessaisit l’ANP de son pouvoir et de l’autre met en avant la bureaucratie pour affaiblir la classe politique. Anticipant cette évolution, nous écrivions dans notre évaluation de la présidentielle de 2004 : « on ne peut imaginer le retrait de l’armée du champ politique – son intervention changera de forme, c’est tout ! » Dans ce qui paraît être une mise en scène d’un nouvel acte de son conflit avec l’armée, Bouteflika a donc procédé au réaménagement de l’institution militaire le 11 septembre dernier. Il a même prononcé la dissolution de la police judiciaire relevant du DRS tentant encore de masquer le fait que le DRS contrôle toute la police (y compris son service judiciaire). Pour justifier ces développements, Bouteflika met en avant des nécessités d’ordre stratégique et opérationnel liées à la préservation de l’Etat. C’est la raison d’Etat qui guiderait ces mesures. En vérité c’est bien l’ANP qui cherche ainsi à faire reconnaître sa préséance en affirmant la préséance de l’Etat dont elle est l’institution la plus cristallisée. Mais si l’armée n’obéissait qu’à la raison d’Etat la rupture aurait déjà eu lieu. Les changements en son sein ne favorisent donc pas la rupture mais visent au contraire à la contrarier. Et quand Bouteflika délègue à un ministre de la Défense certaines de ses prérogatives, il n’abdique pas devant l’armée mais espère accréditer, ainsi, la fiction du contrôle qu’il exercerait sur l’ANP. Car on ne peut donner que ce que l’on possède.

9/En théorie, plus le circuit de la délégation s’allonge, plus l’Etat prend un caractère impersonnel. Bouteflika trouve un avantage : il incombe au ministre de veiller à ce qu’il ne soit pas trompé ou abusé. Cette forme de solidarité conflictuelle - puisque le ministre doit aussi s’assurer de la conformité des actes du Président - permet paradoxalement le développement d’une forme d’organisation de l’Etat. L’arbitraire despotique implique que la stabilité passe par des mécanismes indépendants de la volonté des individus, d’abord par la grâce du despote, et peut-être demain par la loi et le marché. Le processus pourrait même être accéléré, puisque la dignité et la majesté de la fonction présidentielle sont peu à peu distinguées de la personne de Bouteflika, du fait de la dégradation de son état de santé. Une sorte de complexe légalo-judicaire bourgeois pourrait ainsi venir renverser l’ordre au service de l’Etat. Les armes ne seraient plus le premier garant de l’Etat mais la loi. Au sommet de l’Etat on pourrait alors proclamer que la justice ne serait plus là pour légitimer le pouvoir mais pour le limiter. L’expérience quotidienne démontre, cependant, que la culture de l’Etat de droit n’existe encore dans aucune institution, et pas plus dans l’ANP que dans une autre. La marque de ce retard, c’est la confiscation du public par le privé, le Président en l’occurrence. Le despotisme bouteflikien exprime, avant tout, la confusion de l’ordre public et de l’ordre privé et explique autant l’absence d’espace public que le refus d’aller vers la séparation du politique et du religieux. C’est d’abord dans la sphère du pouvoir que devra s’affirmer la distinction du public et du privé.

10/Le despotisme ne veut plus se contenter des compromis passés dans le cadre de la 1ère République, mais désire négocier sa pérennisation dans le cadre d’une 2ème République. C’est pour cela que de nombreuses forces se sont opposées au projet de Constitution, en pensant que c’est un projet personnel de Bouteflika qui devait servir à renverser les termes du compromis auquel elles avaient adhéré. Elles préfèrent reconduire ce compromis, quitte à le renégocier à la baisse, avec un peu plus « d’Etat civil » ou de droits de l’homme comme l’admet le chef de l’ex-parti unique et moins de légitimité historique et d’Islam. D’ailleurs, effrayé par la dégradation du rapport des forces, le chef du parti des assassins déclare « nous devons nous battre pour construire une Algérie où chacun aurait sa place selon ses compétences et non selon son degré de croyance ». Mais le pouvoir détient la décision stratégique. C’est lui qui s’apprête à prendre l’initiative de la rupture avec l’ancien compromis qui prévaut au sein de l’Etat en construction depuis l’indépendance. Et s’il s’apprête à y réussir c’est grâce aux inconséquences des démocrates qu’il soumet à un odieux chantage : vous voulez moins d’arbitraire, il faut vous faire plus de concessions !

11/La durée de la transition historique s’explique par l’incapacité du pouvoir, par un travail d’invention, de rupture et de refondation, à se doter d’une base autonome. C’est révélateur de son incapacité même à réaliser les tâches de cette transition à son propre bénéfice, dans le cadre d’une restructuration et d’un recyclage de la rente vers le capital spéculatif puis vers le capital productif. Nous sommes toujours face à des « équilibres de crise » extrêmement fragiles qui peuvent conduire à toutes les catastrophes comme nous l’avons expérimenté en janvier 2011 quand le pouvoir a dû céder au chantage des forces liées à la corruption dont il reste dépendant. Au plan social, les inégalités augmentent et les différences de revenus s’accroissent. Dans une classe d’âge, 4 élèves sur 5 n’arrivent pas en terminale tandis que le Ministère de l’éducation se gargarise des résultats au baccalauréat. La culture butte toujours sur la question de la démocratisation du secteur aussi bien du point de vue de la liberté de création que de la pratique et de l’accès des larges masses. L’autoroute Est/ouest, au-delà du scandale financier, révèle le choix du pouvoir de continuer à tourner le dos à un immense territoire et de s’inscrire dans un développement du pays à deux vitesses, condamnant les hauts-plateaux et le Sud malgré les pseudo-mesures prises en faveur de ces régions.

12/Les investissements dans les infrastructures sont censées préparer l’accueil des investissements productifs mais dans la réalité ils auront juste été une manière de permettre à certains de s’enrichir sur les contrats des grands chantiers. Il est clair qu’au plan économique la transition a échoué. En vérité autant, au plan politique, les réformes n’ont préparé qu’une forme de despotisme éclairé, autant, au plan économique, le pouvoir a ajouté la dépendance aux marchés financiers à la dépendance aux hydrocarbures, révélant une orientation néolibérale adossée à la rente. C’est pourquoi, alors qu’il prétend dénoncer la fuite des capitaux, il préfère placer les revenus du fonds de régulation des recettes en bons du trésor américain et autorise Sonatrach à procéder à des placements financiers à l’étranger au moment où il prend des mesures contre les entreprises internationales qui réexportent leurs bénéfices.

13/Dans le contexte économique actuel, il est patent que la question de la convertibilité du dinar devient un enjeu essentiel après les reculs imposés sur l’abandon du régime de partage par Sonatrach au bénéfice d’un régime de concessions. Cette question lancinante de la convertibilité est d’autant plus inquiétante qu’il apparaît que presque la moitié des dépôts bancaires ne sont pas transformés en crédits car les banques vivent grâce au commerce extérieur. En exigeant la convertibilité, ne veut-on pas seulement purger les établissements financiers des ressources qui n’auraient pas, déjà, été accaparées par les importateurs ? Malheureusement on ne peut même pas se satisfaire de l’évolution dans le secteur public que le patriotisme économique prétend encourager. Les cadres sont encore tellement traumatisés par les persécutions dont ils ont été victimes qu’ils n’osent pas faire usage des fonds qui leurs sont octroyés pour relancer les entreprises étatiques. Sellal a beau tenter de les rassurer sur le fait que l’Etat est à leurs côtés, il n’y a pas de confiance. En fait le système ne peut qu’encourager les comportements de prédation ou la résignation et confirme que le patriotisme économique ne peut pas se concevoir sans un véritable Etat de droit.

14/Aucune contradiction ne paraît décourager le pouvoir. C’est comme si sa volonté était de se servir de chacun de ses échecs pour justifier de nouvelles mesures au bénéfice du capital spéculatif. L’enrichissement est devenu une obsession, la parade sans retenue du produit de la spéculation, de la prédation, de la fraude fiscale, du parasitisme, de la corruption et de la concussion est devenue insolente. L’affaire Chakib Khelil n’a pas donné lieu à un débat et la remise de Khalifa à la justice algérienne n’a pas paru satisfaire la société. Est-ce parce qu’elle craint que la finalité de tout ça ne soit d’aller vers une amnistie générale ? Ou alors assistons-nous à une forme de banalisation de la corruption, comme si la société admettait un fait accompli ? La crise est tellement forte dans tous les domaines, le chômage tellement persistant, la marginalisation des jeunes et l’échec scolaire tellement scandaleux que tout favorise l’explosion de la corruption. En même temps le désir de harga montre que les gens veulent la fuir, refusent d’être à sa merci, et la retourne même pour y échapper, comme les jeunes qui revendent les équipements acquis grâce aux crédits ANSEJ pour s’acheter un visa. Mais la corruption est devenue une véritable force d’intégration qui structure la société, c’est une des raisons qui explique l’opportunisme des forces intermédiaires et de certains courants démocratiques qui craignent d’être totalement marginalisés.

15/D’une certaine manière, nous pouvons dire que le despotisme est un anti-Etat, il détruit la société et la conscience sociale car il existe un lien d’essence entre la corruption et l’arbitraire qui sont deux expressions de la négation de l’Etat de droit et même de l’Etat tout court. On ne saurait donc résoudre la question de la corruption sans résoudre la question de la nature de l’Etat. Cet Etat peut combattre la corruption mais il ne le fera que dans le cadre du réaménagement de ses réseaux et de la riposte qu’il est contraint d’opposer à la volonté d’autonomisation de ces réseaux. D’où l’absence d’esprit de suite dans la lutte contre la corruption ce qui finit par conforter les différents clans et leurs ambitions, car c’est la reconnaissance d’une forme d’impuissance à se débarrasser de ce fléau, c’est la reconnaissance de leur nécessité comme base du pouvoir. D’ailleurs, ce dernier exprime son opposition aux réseaux mafieux dans des termes tellement moraux que cette opposition finit par se neutraliser elle-même, tant le pouvoir n’est pas crédible dans ce rôle de donneur de leçons. A la source de ce comportement, il y a la tendance persistante à vouloir trouver n’importe quel compromis qui permette d’échapper au changement radical, en pensant s’assurer un contrôle absolu de tous les circuits de la corruption.

16/Au final, le pouvoir apparaît comme la seule force qui peut endiguer la corruption tandis que les réseaux mafieux apparaissent comme le seul contre-pouvoir à l’hégémonie de Bouteflika. La démonstration en a été faite, en janvier 2011, avec les reculs du pouvoir face aux lobbies de l’importation du sucre et de l’huile. Le lien entre l’arbitraire et la corruption permet donc de postuler que la chute du despotisme devrait entraîner inéluctablement celle des réseaux de l’argent sale. C’est pourquoi le pouvoir aura tendance à vouloir passer un deal avec ces réseaux lors de la prochaine présidentielle. A moins qu’il ne s’agisse de neutraliser ces forces au bénéfice du pouvoir? L’intérêt de faire croire à un conflit Bouteflika/ANP c’est, en effet, de neutraliser certains secteurs. Hier c’était l’islamisme, aujourd’hui ce sont les milieux liés à la corruption qui se sentent rassurés autant par la promotion politique de leur personnel que par l’apparente mise au pas de l’armée. C’est un prolongement des fausses contradictions et des illusions que cultive le pouvoir. En effet, depuis l’éclatement de la crise nationale, il a persisté dans la volonté de taire la nature réelle de celle-ci et les enjeux qu’elle recouvre. Aujourd’hui encore, tout est fait pour la réduire à la question de Bouteflika. On veut ainsi faire croire que l’arbitraire tire sa justification de la personnalisation du pouvoir et que mécaniquement la fin du pouvoir personnel assurerait la fin de l’arbitraire. Mais il n’est pas sûr que le despotisme ait épuisé ses potentialités.

DES ELECTIONS BIAISEES

17/Durant des mois, les médias ont assommé la société avec le débat sur la tenue ou non des élections, sur le changement ou pas de Constitution, sur la candidature ou pas de Saïd Bouteflika ou de Zeroual, sur la prolongation ou pas du mandat actuel de Bouteflika ainsi que sur la nomination ou pas d’un vice-président. Toutes ces questions recouvraient, en fait, une seule et même problématique : va-t-on assister à la poursuite d’une dérive despotique devenue insupportable? Le corps électoral a finalement été convoqué pour le 17 avril 2014. L’opacité dont est encore entourée la présidentielle marque cependant la volonté de tourner le dos aux exigences que porte la crise de l’Etat et de consolider l’hégémonie du courant despotique néolibéral quitte à s’appuyer sur un nouvel habillage qu’anticiperaient le patriotisme économique et le délestage de l’islamisme. En donnant un autre cours à ses orientations politiques, le pouvoir va, une fois encore, tenter de contrarier les décantations actuelles en leur opposant une opération de reconduction du système qui ne peut conduire qu’à la recherche d’un nouveau compromis qui ne serait en rupture ni avec l’islamisme, ni avec les forces liées à la corruption et à la spéculation. Au mieux il peut préparer une forme de despotisme éclairé qui consiste à se délester du poids de l’islamisme sans barrer définitivement la route au projet d’Etat théocratique par la séparation du politique et du religieux et sans traiter la question des partis/Etats qui serait l’indice d’une volonté d’aller vers un Etat de droit.

18/Malgré la volonté du pouvoir d’en biaiser le sens, l’élection présidentielle demeure un scrutin important car l’institution joue un rôle déterminant pour le système. Pour autant il est difficile de voir dans l’échéance à venir un possible point d’inflexion décisif tant elle se prépare dans une configuration politique fermée. Pour tenter de déverrouiller le jeu certains ont mis en avant la nécessité du départ de Bouteflika. D’autres ont réclamé l’intervention de l’ANP qui même si elle s’est dite sous les ordres de Bouteflika aurait pu être tentée d’accompagner ce dernier vers la sortie avec un vice-président issu de ses rangs. Mais le scrutin de 2014 semble être là moins pour régler le problème de légitimité du pouvoir que pour préparer les conditions de la résolution de cette question. Il entraîne dans la confrontation des forces qui restent attachées à l’option despotique, d’autres qui souhaitent un Etat de droit mais qui craignent d’être emportés par la revendication démocratique et se retrouvent otages du despotisme et enfin des forces qui luttent pour une Algérie démocratique et sociale. Dans cette bataille une interrogation demeure : les forces intermédiaires auront-elles l’audace de rompre avec leur mouvement de balancier qui les poussent tantôt d’un côté, tantôt de l’autre afin d’éviter le déséquilibre du système. Pour les neutraliser ou même obtenir leur soutien, le pouvoir va certainement leur faire miroiter un ersatz d’Etat de droit. C’est pourquoi Saïdani dit que « l’Etat algérien doit être bâti sur les bases d’un Etat de droit où celui qui gagne gouverne et que, seul, le peuple juge» tandis que Sellal évoque un « projet national de la renaissance algérienne ». L’objectif est de donner un nouveau souffle au système.

19/ Peut-il y avoir des élections pluralistes et crédibles ainsi qu’une alternative électorale au système, à l’ombre des structures du despotisme néolibéral adossées à la rente, totalement contrôlées par le pouvoir et qui force ainsi des comportements opportunistes ? Non, car les forces au pouvoir ne peuvent pas prendre le risque de déclencher une lutte des clans qui ferait peser une menace sur la perpétuation de leur hégémonie. Ce danger favorise donc le développement d’une autorité indépendante des clientèles tant dans leur fonctionnement que dans leur reproduction. Cela s’exprime par une volonté de contrôle qui exclue même une élection semi-ouverte à différents candidats issus du système. Le pouvoir ne peut envisager qu’un coup de force qui visera à prendre toute la classe politique de vitesse et à accélérer la cristallisation de sa propre base. Dans ces conditions il faut s’attendre à d’autres « coups bas » du pouvoir. Par toutes sortes de moyens, le pouvoir cherche à dérouter l’opinion publique autant que la classe politique, s’assurer qu’elle ne soit pas mobilisée électoralement afin de biaiser les résultats de la présidentielle. Pendant ce temps, la télévision et la radio publiques font un bilan élogieux de Bouteflika, ce qui conduit à se poser la question : est-ce parce qu’il prépare un 4ème mandat ou est-ce qu’il veut partir sur un succès? Quelle que soit la réponse à cette question elle ne peut pas masquer le fait que le pouvoir se prépare à un faux virage.

20/Même si l’élection devait être seulement semi-fermée, le candidat identifié comme étant celui du pouvoir risque de passer comme une lettre à la poste. Est-ce que les algériens se résigneront à une telle issue parce qu’ils considèrent qu’il y a toujours un danger d’instabilité ? Rien n’est moins sûr. C’est pourquoi le candidat du pouvoir devra paraître incarner le changement. Ce candidat devra disposer d’une certaine crédibilité et être en capacité de conduire une transition. Il sera en rapport avec le nouveau poids de l’Algérie sur la scène internationale et devra être en adéquation avec les évolutions dans le monde arabe. Le candidat du pouvoir devra être apte à favoriser un compromis à la gauche du pouvoir actuel et par conséquent ne pas avoir à assumer, totalement, l’ancien compromis pour pousser plus loin l’édulcoration de l’islamisme (c’est d’ailleurs cette volonté qui explique la visibilité relative du MDS ces dernières semaines). Cependant, le pouvoir ne peut plus faire croire à un retournement, à une évolution stratégique, cacher qu’il est seulement dans la tactique à chacune des échéances électorales dont il est le seul à bénéficier. Car toutes les élections engagées depuis l’accession de Bouteflika au pouvoir n’ont été qu’un double mouvement de neutralisation des forces progressistes et démocratiques et de recherche d’une majorité de gouvernement en attente de la cristallisation des forces dont le pouvoir est l’expression.

21/L’armée se déclare hors-jeu, le chef du gouvernement est à la tête de la commission nationale de surveillance des élections, donc pas candidat au prochain scrutin, et le Président ne semble pas en état de se présenter pour un 4ème mandat. Mais qui sait ? Nous paraissons être face à une configuration pour le moins originale à défaut d’être neutre. Que se passerait-il, en effet, si Bouteflika ne pouvait pas finir son mandat alors même que le corps électoral est convoqué ? Ne serions-nous pas devant une situation constitutionnelle imprévue ? Cependant certains ne veulent pas entendre parler de la fin de Bouteflika. Des forces, dans l’incertitude – ou en prévision – de sa candidature jugent plus habile de feindre un certain détachement et de le placer mythiquement au-dessus de la mêlée. Il a légalement jusqu’au 4 mars pour déposer sa candidature. Ce genre de fausse attention en direction de Bouteflika est à mettre en rapport avec l’assurance dont font preuve des ministres qui peuvent tomber sous le coup de la justice ou qui prennent des postures, comme s’ils étaient dans les confidences du noyau dur de l’Etat. Et quand des voix appellent à un 4ème mandat, alors qu’on assiste à un déclin du Président, on a surtout le sentiment qu’on continue à perpétuer la référence à une apparence, au moins, de centre du pouvoir, ainsi investie d’une fonction légitimatrice. Mais dans quel but ? Et quel sens donner aux propos de Sellal qui lance « Bouteflika sera notre guide » ou à ceux de Saïdani qui annonce que le FLN ne soutiendra aucun autre candidat que Bouteflika ? Il est en effet difficile d’envisager qu’une élection présidentielle puisse se tenir sans que le FLN ne supporte un candidat.

22/Après avoir appelé à ouvrir un large chantier sur les réformes constitutionnelles et à des législatives anticipées parce que l’actuelle APN manque de légitimité et de crédibilité pour discuter de la Constitution, Louisa Hanoune parle de « malaise au sommet de l’Etat ». Elle dénonce « la duplicité » et aura hésité à présenter sa candidature. Moussa Touati et Ali Fawzi Rebaïne étaient pourtant, très tôt, disposés à jouer une fois de plus les lièvres. Et même Djaballah n’exclut pas de se présenter tant il doute que l’appel au boycott puisse être entendu. Mais peut être que la porte-parole du PT n’est pas rassurée par la multiplication de déclarations de candidatures fantaisistes ? La presque totalité de ces candidats a été miraculeusement tirés des ténèbres par la grâce conjuguée de la propagande officielle et du Ministre de l’Intérieur. Ces prétendants accréditent surtout l’idée, qu’après Bouteflika, il n’y a plus vraiment de personnalité disposant d’une stature présidentielle. Le Général Mohand Tahar Yala parle carrément d’un complot. Mais alors pourquoi envisage-t-il sa candidature ? Espère-t-il accréditer l’idée qu’il est le candidat de l’ANP et contrarier une autre candidature? Cela paraît difficile après qu’il se soit vu interdire l’accès au cercle des officiers. Ou est-ce, au final, pour mettre en scène de façon encore plus spectaculaire le retrait de l’armée ?

23/Aucune force en dehors du pouvoir ne paraît avoir intérêt à ce que l’élection se tienne dans des conditions où menacent les pièges tactiques et se forgent des alliances contre nature comme celle qui rassemble les partis et candidats qui se sont réunis au siège du RCD. Islah de son côté veut organiser « une conférence nationale qui regroupera toutes les sensibilités politiques ». Le contexte indique que tous craignent que le pouvoir ne veuille récupérer les dividendes de la recomposition autoritaire de la classe politique qu’il a entamée depuis des années. On l’a vu, à l’occasion des législatives de 2012, sa tactique consiste à ouvrir la porte à la création d’une multitude de nouveaux partis, à favoriser l’éparpillement électoral, tout en gardant fermement le contrôle sur ses clientèles et enfin entourer son option de la plus grande opacité pour placer les candidats devant le fait accompli. C’est pourquoi ces partis peuvent craindre que cette élection ne constitue une nouvelle tentative de faire avancer le projet exprimé par Bouteflika d’aller vers un système bipartisan. La classe politique semble donc bel et bien sur la défensive. Et certains partis, qui refusaient la révision de la Constitution avant la présidentielle, ne paraissent pas rassurés sur l’attitude à adopter maintenant que le corps électoral est convoqué. D’autres veulent un gouvernement impartial et une instance indépendante pour superviser le scrutin. Mais ces partis se montrent incapables de s’entendre, ne serait-ce que sur la surveillance commune des urnes. En vérité, ils semblent sans conviction, comme voulant juste se laisser une porte de sortie.

24/Un candidat surprise du pouvoir ne peut pas être totalement exclu. Mais cela reste difficile à imaginer s’il n’avait pas une notoriété et une stature déjà reconnues. C’est pourquoi certains prétendants espèrent, peut-être, bénéficier de la stratégie sourde du pouvoir et se voir intronisés comme son candidat. S’il avait, un instant, la moindre prétention de ce côté, le long silence de Benbitour après les événements violents de Ghardaïa, pourrait l’avoir fragilisé, même s’il annonce se maintenir. Benflis pourrait-il être alors ce candidat ? Après tout il a occupé une place de choix au sein du système puisque qu’il a été lui aussi chef du gouvernement et même l’adversaire de Bouteflika. Ces comités de soutien sont installés à travers le pays et même à l’étranger. Quelques organisations, à la périphérie du pouvoir se sont déjà engagées autour de sa candidature et il peut espérer récupérer une partie du FLN en cas de forfait de Bouteflika. Enfin, selon la rumeur, Benflis aurait le soutien paradoxal de Zeroual et de Hamrouche. Certains le verraient conduire une période de transition. Lui se dit prêt à aller à cette élection quelles que soient les conditions. Bien sûr on peut s’interroger sur le retour du candidat de 2004 au moment où Khalifa, un de ses soutiens d’alors, est transféré à la justice algérienne. Ira-t-il jusqu’au bout ? Déjà il subit des attaques à travers la presse où un chroniqueur qui l’avait supporté l’appelle à ne pas se présenter. Mais d’un autre côté, il n’est pas exclu qu’il puisse être le nouveau candidat du consensus pour le Front du Changement de Menasra. L’islamiste dissident du MSP pourrait chercher à échapper à la marginalisation en lestant un candidat qui ne pourrait emporter qu’une victoire étriquée. Il se dit même que l’un des chefs du parti des assassins lui apporte son soutien, non sans avoir d’abord mis en scène un impossible retrait de formulaire de candidature pour marquer sa distance.

25/Alors, un candidat du consensus ? Du pouvoir ? De l’opposition? De l’opposition et du pouvoir (de manière officielle ou officiellement de l’opposition mais agréé par le pouvoir) ? En vérité la notion de consensus renvoie à l’abandon de l’idée de transfert du pouvoir pour accepter l’idée de son éventuelle transformation, la réforme, plutôt que la rupture. La solution n’est pourtant pas un front des partis actuels mais bien leur dépassement. Ces derniers hésitent devant une telle issue et le concept de consensus vient à leur secours, car il occulte les véritables enjeux de la lutte avec le despotisme néolibéral et nie même cette confrontation. N’est-ce pas, là, la principale critique qui peut être portée au FFS qui, hier, niait l’affrontement avec l’islamisme assassin et proposait une plate-forme du consensus national depuis San Egidio ? Aujourd’hui, il évoque encore la construction d’un « consensus politique national articulé sur l’instauration d’un Etat de droit garant des libertés démocratiques et de l’indépendance de la justice.» Pour le FFS, il s’agit donc moins de trancher sa participation à une élection et de désigner un candidat que d’établir un consensus. C’est pourquoi il réclame toujours une Constituante, espérant qu’elle sera le lieu d’élaboration de ce consensus. Elle ne sera, en vérité, que le lieu d’adoption de ce consensus, car les rapports de force réels en auront déterminé le contenu. Et si, malgré cette évidence, le FFS se dit disponible à un compromis avec le pouvoir, c’est, qu’encore une fois, il est là pour lui permettre d’échapper à la rupture. C’est un rôle qu’il avait, d’ailleurs, déjà joué face au mouvement citoyen de Kabylie.

26/L’absence d’un projet de société commun, clairement identifié, fournit un terrain de manœuvre privilégié au pouvoir. Il peut ainsi contrarier toute coalition pour se mettre en situation d’arbitre. Mais le pouvoir ne cherche pas juste à contrarier le rapprochement entre les autres forces. Lui aussi voudrait un consensus, car c’est un moyen de réduire les incertitudes. Bouteflika n’était-il pas, d’ailleurs, le candidat du consensus ? Face aux manœuvres du pouvoir pour faire avancer un nouveau compromis, la question qui se pose donc aux forces progressistes et démocratique c’est moins la caution qui pourrait être apportée au pouvoir que la nature de ce compromis et l’importance des avancées qu’il serait possible d’arracher pour refonder l’Etat dans le sens de la démocratie, assurer sa stabilité et sa pérennité. En effet, la crise de l’Etat n’est pas dépassée, mais un isolement du pouvoir ne conduirait pas mécaniquement au chaos ou ne profiterait pas forcément à l’islamisme. Il nous faut réfléchir à tous les types de retournement qui permettrait de rétablir le processus de transition démocratique sur une base de radicalité, qu’ils soient d’ordre national ou international.

SORTIR DE LA TUTELLE DU POUVOIR SUR LES ELECTIONS

27/Bien sûr la disparition ou le retrait de Bouteflika pourrait créer une situation exceptionnelle qui pèserait sur les élections présidentielles. Mais une intensification des luttes de la société ou une crise internationale constituent les principaux facteurs qui pourraient modifier fondamentalement la donne. Malgré toute l’opacité qui entoure le scrutin à venir, la sérénité de la France et des USA démontre que ces deux puissances doivent savoir à quoi s’en tenir. Cependant elles affirment ostensiblement ne pas s’immiscer dans les affaires algériennes sans jamais manquer d’exprimer les plus grandes réserves en direction du pays. Cette attitude démontre que le pouvoir ne peut pas substituer la légitimité internationale à la légitimité populaire qu’il n’a pas. Quelques actes assimilables à des provocations (plaisanterie de Hollande devant le CRIF, forage pétrolier US au large des côtes sahraouies) nous indiquent qu’il n’est pas sûr, au final, que les milieux occidentaux s’inscrivent entièrement dans sa démarche, ce qui explique sa très grande méfiance à leur égard. Quoi d’autre justifierait, d’ailleurs, l’opacité du pouvoir alors que son candidat passerait sans problème tant le rapport de force est en sa faveur ? Sa stratégie sourde couvre une volonté de franchir un cap sans laisser place à une possibilité d’interférence internationale ou de la société. Il est, en effet, difficile d’imaginer ce qu’il adviendrait du cours actuel de l’évolution dans le cas où s’opérerait la jonction entre l’éclatement débridé du mouvement social et une pression due à une situation internationale qui déraperait. Une telle situation peut-elle être écartée ? En 2001 il s’en est fallu de peu que nous assistions à cette conjonction du mouvement citoyen de Kabylie et des attaques du 11 septembre.

28/Le pouvoir se montre extrêmement attentif aux évolutions régionales et mondiales. Il est clair qu’il suit avec intérêt le compromis qui s’est dessiné en Tunisie et qu’il approuve la démarche de Sissi en Egypte. D’où les tentatives islamistes de créer la polémique à l’occasion de la venue du Ministre égyptien des affaires étrangères. Avec la préparation de Genève 2, nous avons observé de nombreuses visites en Algérie. Le pouvoir est inquiet et multiplie les concertations. Il voit bien que sans soutiens colossaux l’islamisme n’aurait pas pu organiser les réseaux de soutien politique, idéologique, organisationnel, financier, logistique, d’acheminement de matériel et des hommes, d’entraînement…pour se battre en Syrie. Il sait qu’il ne faut pas sous-estimer les risques que portent un tel soutien et une telle planification de la subversion, impliquant des Etats s’appuyant sur des soucis géostratégiques et des intérêts liés aux hydrocarbures et aux voies de leur transport. La situation au Mali est d’ailleurs là pour lui rappeler au devoir de vigilance. Le monde entier a compris l’intérêt stratégique de la chute ou du maintien du régime de Damas à l’attitude de la Russie et de la Chine. Et l’Algérie qui semblait se mettre en retrait des développements dans le monde arabe tente de rejouer un rôle central dans la région. Pourtant le pouvoir pourrait encore être pris de cours par de nouvelles accélérations tant il est évident qu’il avait été surpris par le printemps arabe et par ses derniers rebondissements. Le risque est d’autant plus grand qu’il semble que l’appréciation de l’islamisme par les pays occidentaux évolue de manière inégale et contradictoire.

29/Les principales puissances ont cependant procédé à une réévaluation de leur rapports avec l’Algérie même si certaines forces restent encore attachées, à un degré ou à un autre, à des conceptions anciennes, archaïques et réactionnaires, désireuses de maintenir et de reproduire les rapports de subordination et de dépendance. De ce point de vue le despotisme néolibéral les rassure et ils verraient, malgré toutes leurs proclamations, d’un mauvais œil, l’émergence d’un Etat disposant de suffisamment de légitimité et suffisamment fort économiquement pour non seulement échapper à la dépendance mais représenter un élément de concurrence supplémentaire. Ils ne cautionneront donc pas une stratégie qui leur apparaîtraient comme faussement à leur avantage ni ne partageront une volonté réelle de redresser l’économie productive s’ils n’en sont pas directement bénéficiaires. En fait, l’Algérie n’intéresse plus le monde uniquement en tant que réserve d’hydrocarbures, mais aussi en tant que chantier, que débouché commercial et exportateur de capitaux. Avec la crise économique mondiale qui perdure ces enjeux seront décisifs. Il ne faut, en effet, pas oublier que les administrations fédérales américaines ont même été partiellement fermées pour des problèmes budgétaires. La crise demeure d’ailleurs tellement aigüe qu’il faut considérer le programme de réarmement américain comme une forme de keynésianisme militaire qui aurait pour vocation de régler le problème du déficit commercial US. Elle explique la politique du dollar qui favorise les exportations d’armes, mais accroit aussi les risques de conflit.

30/Le pouvoir sait qu’une période de troubles internationaux est un moment propice au changement national. Déjà il essaie de tourner à son avantage les évolutions du printemps arabe en Egypte et en Tunisie ainsi que l’affaiblissement du poids du Qatar ou la crise en Turquie. La situation internationale démasque le pouvoir et montre que son souci ce n’est pas la non-ingérence, comme il le proclame, mais sa pérennité. Par ses déclarations de principe, il veut endormir la société alors que les appels à l’ingérence ont aiguisé la vigilance et remobilisé les milieux patriotiques et démocratiques. Il ne faut pas se faire d’illusions. Au moment où certains appellent ouvertement à l’ingérence, le pouvoir a déjà intégré l’agenda des puissances. Il accepte le partage du monde, le redécoupage des frontières. Il offre les grands chantiers aux chinois, procède à des achats d’armes massifs en Russie, ouvre le marché algérien à l’Union européenne et exporte ses ressources (hydrocarbures et capitaux) vers les marchés internationaux et au bénéfice des USA. La mise en avant du principe de souveraineté par le pouvoir actuel, qui n’a jamais eu d’attitude offensive sur cette question, n’est donc pas un attachement aux principes mais la marque honteuse de sa soumission aux puissances occidentales. Il le fait sur le mode : faites ce que vous avez à faire, je m’en lave les mains.

31/Le comportement du pouvoir par rapport aux évolutions internationales constitue une alliance objective contre les forces qui combattent la domination néolibérale : qu’elles la combattent pour rester amarrées au passé comme le souhaite l’islamisme ou qu’elles la combattent pour en sortir par le haut comme en formulent le vœu les progressistes et démocrates. Les mutations en cours dans le monde arabe s’accompagnent donc en Algérie d’une recrudescence de chauvinisme et de la transformation de l’alliance tacite avec les occidentaux en une alliance ouverte. Le contenu politique et idéologique de l’impérialisme et du chauvinisme algérien sont les mêmes : empêcher la rupture démocratique, renonciation aux moyens révolutionnaires de lutte, soutien au pouvoir au lieu d’utiliser ses difficultés pour imposer le changement radical. C’est ce qu’on observe aussi en Egypte et en Tunisie. La posture de sauvegarde de la souveraineté est défensive, sans rapport avec le soutien aux luttes de libération adopté dans le passé. Elle souligne le retard pris dans la transition démocratique pas l’avance de l’Algérie sur les autres pays arabes. Un peu comme les attentats du 11 septembre ont mis à jour la façon dont la réconciliation nationale est venue contrarier la rupture avec l’islamisme. Au final, le discours sur la non-ingérence c’est l’expression d’un opportunisme du pouvoir, pas de sa conséquence. Au plan international son discours cherche d’ailleurs à faire passer l’exigence de stabilité avant celle du changement et la spécificité plutôt que ce qu’il y a de commun avec d’autres pays arabes (islamisme, despotisme, rente, néolibéralisme et soumission à l’impérialisme).

32/La situation internationale peut-elle créer les conditions qui précipiteraient la chute du pouvoir ? De ce point de vue il faut envisager l’avenir non pas uniquement sur la base des réalités concrètes immédiates mais aussi sur la base de ce qui peut advenir. Nous sommes objectivement dans une période de grandes mutations. N’importe quel événement peut donner lieu aux évolutions les plus inattendues. Ainsi en est-il de la crise en Syrie qui nous a amené au bord d’une guerre régionale. De ce point de vue il faut s’inquiéter des suites et du succès de la rencontre de Genève 2. En effet, nous ne pouvons pas souhaiter l’impréparation du pouvoir face aux conséquences d’un échec de l’initiative de paix en Syrie mais il faut être prêt à s’en saisir, ne serait-ce que pour en amortir les effets les plus négatifs. Pour cela il faut bien comprendre que l’état d’esprit de la société en faveur de la stabilité n’exprime pas de la résignation mais une protestation et une prise de conscience du caractère révolutionnaire de la situation internationale. Il faut donc participer activement à toute manifestation sur ce terrain et expliquer que, sans rupture, l’Algérie ne trouvera pas de stabilité.

33/Le mouvement de révulsion qu’a provoqué, chez les algériens, l’assassinat atroce de Kadafi et le soutien implicite de la société à Bachar El Assad, même si elle désapprouve l’idée de la perpétuation de son régime, sont des expressions du rejet de l’opportunisme du pouvoir algérien. Ces éléments d’appréciation du contexte international soulignent le divorce de la société avec l’Etat algérien et la possibilité d’organiser le travail en faveur du changement radical sur ce terrain. En effet, avec une situation internationale et nationale objectivement révolutionnaire, la posture ambigüe du pouvoir va continuer à susciter des tendances révolutionnaires dans la société. Notre devoir est d’aider à prendre conscience de ces tendances, de les approfondir et de leur donner corps. Il nous faut être en capacité de transformer une crise internationale en un point d’appui pour la rupture, et donc travailler méthodiquement et sans relâche dans ce sens. Il est vrai, cependant, que l’Alliance verte et la CNCD ont échoué à se saisir de la situation internationale pour susciter le changement. Ce n’est pas à cause de la forme choisie par les uns ou les autres (élection ou manifestation) mais à cause du fond qui contournait la double rupture aussi bien avec le système qu’avec l’islamisme. Il ne faut donc pas hésiter à concevoir notre tactique en relation avec les accélérations internationales et considérer qu’elles constituent un danger pour le pouvoir car elles révèlent sa fragilité, son isolement, son manque d’anticipation, sa peur que des forces exploitent la crise économique et politique pour précipiter sa chute.

34/Le pouvoir essaie de désamorcer tous les mouvements de protestation de la société pour ne pas être surpris par une quelconque évolution. Le ministère de l’intérieur vient d’inviter les gardes communaux au dialogue, la loi de finance prend en charge certaines attentes des patriotes et Sellal distribue de l’argent pour répondre aux revendications qui se multiplient à travers les wilayas. Le pouvoir sait que les bénéficiaires de l’ANSEJ, du pré-emploi, les demandeurs de logements AADL ne sont pas définitivement neutralisés. Les algériens ont de plus en plus conscience que ce que le pouvoir leur accorde d’une main, il le leur reprend de l’autre. C’est pourquoi, si la société ne se mobilise pas sur le plan électoral et qu’elle a été démobilisée dans sa résistance armée face à l’islamisme terroriste, elle a su engager la lutte sur d’autres terrains et formule des revendications de plus en plus politiques. Les comportements de résistance à l’arbitraire se multiplient dans tous les domaines (protestation contre la loi sur les associations, syndicats autonomes qui luttent pour leur reconnaissance, émeutes contre les listes de distribution de logements, mobilisation contre le refus de subventionner un festival de cinéma…). Nous observons un soutien tacite à tous les mouvements de protestation et des comportements modernes (refus de céder devant les campagnes contre les personnes qui mangent durant le ramadhan, accroissement du rôle des femmes dans l’économie…). Toutes ces évolutions contrarient probablement les luttes au sein des appareils ou les relativisent et participent à en infléchir le sens en faveur des aspirations de la société.

35/L’isolement du pouvoir par rapport à la société est de nouveau dramatique. Les forces sur lesquelles il s’appuie ne disposent d’aucun crédit en son sein ou parmi ses élites. D’où sa volonté d’imposer par la bande une forme de consensus. Mais en même temps les citoyennes et les citoyens n’attendent plus rien de l’inertie et de la dispersion des forces démocratiques. La société sent confusément qu’elles ne sont pas d’accord sur la stratégie, c'est-à-dire qu’elles n’identifient pas de la même manière l’ennemi principal et la nature de l’enjeu. Il reste que face au despotisme, la démocratie semble avoir démontré son incapacité à connaître une progression quantitative. C’est la raison et le sens même de la crise de la nature de l’Etat qui empêche le développement de forces nouvelles. Seul un nouveau bond en avant qualitatif pourrait ouvrir la voie à de nouveaux progrès quantitatifs. Faute d’élites démocratiques modernes enracinées dans la société, ce que ne peut donner la situation actuelle, la démocratie devra emprunter une voie originale. C’est pourquoi la rupture démocratique ne peut pas être envisagée en un acte unique mais considérée comme une époque orageuse de bouleversements politiques et économiques, de lutte de projets de société, de résistance armée et de lutte pacifique, de révolution et de contre-révolution. Dans sa dernière lettre Hachemi Chérif envisageait même, d’une manière précise, une rupture en deux temps.

36/Le devoir du MDS est autant de préparer les conditions à un premier moment de rupture que de s’organiser pour peser dans le contexte qui en serait issu. Nous devons avoir conscience que la tactique du pouvoir consiste à maintenir le MDS en crise, à lui refuser une légalité formelle et à dévoyer le mouvement social qui pourrait se radicaliser et accepter notre direction politique. Le despotisme veut ainsi entraîner toute la classe politique dans un mouvement de recentrage et de recomposition. Il nous faut donc travailler à dépasser définitivement la crise de notre mouvement et son actuelle situation organique, non seulement en partant de la confiance retrouvée entre militants et en approfondissant les pratiques démocratiques pour préparer et tenir notre congrès dans les délais impartis, mais aussi en s’appuyant sur la capacité de la société à rebondir. Nous devons construire un MDS qui permette de mettre définitivement en échec le projet despotique néolibéral et édifier l’Algérie démocratique et sociale à laquelle aspire la société. Mais si la question qui est au cœur des luttes est bien celle de l’arbitraire il faut, aussi, faire en sorte que la figure du militant défenseur des droits de l’homme et de l’Etat de droit ne vienne pas contrarier l’émergence du militant imprégné de notre vocation de gauche en imposant un retrait du politique vers l’éthique.

37/Il y a une reprise de la vie organique qui laisse espérer voir les camarades traduire la ligne en termes concrets. Des collectifs se reconstituent et nous assistons à une remobilisation de camarades qui avaient été livrés à eux-mêmes. Cependant, sans changement qualitatif, les gains quantitatifs sont toujours fragiles et risquent d’être remis en cause, globalement ou partiellement, à la faveur d’un accident, d’un blocage ou d’un retournement de la situation. Une partie de notre retard dans le travail d’organisation vient aussi de la priorité accordée au travail de masse à partir du constat d’échec des tentatives de rassemblement des partis politiques du camp démocratique, que ce soit contre les élections ou pour participer ensemble aux élections. Mais pas toujours avec le succès attendu. Ainsi, bien que nous en ayons fait une priorité, nous ne nous sommes pas tournés de manière assez résolue en direction de la jeunesse. C’est pourtant une catégorie assez largement indemne des conséquences de la corruption ainsi que de l’idéologie islamo-conservatrice et néolibérale. De manière plus générale, nous devons rester plus attentifs aux évolutions qualitatives en profondeur et même les anticiper par notre travail sur l’organisation et en rapport avec notre vocation de mouvement de gauche moderne en favorisant, par exemple, la mise en place de pôles d’opinions syndicale et intellectuelle. Nous devrions nous sentir encouragés car, là où un travail de proximité a été fait, les camarades ont pu observer une sympathie remarquable dans les couches profondes de la société et des ouvertures prometteuses en direction du MDS.

38/Malgré les faiblesses relevées, nous avons joué un rôle inestimable en continuant à alerter sur la menace islamiste et sur la dérive despotique du pouvoir, même si nous l’avons payé d’un grave isolement et par une répression systématique de nos activités et de nos efforts de redéploiement en vue de faire jonction avec les citoyennes et les citoyens. Le résultat est là, la société est avertie des dangers de l’islamisme et se fait moins d’illusion sur le pouvoir, même si de larges pans des victimes du terrorisme et des forces qui ont lutté les armes à la main contre l’islamisme assassin paraissent désorientés face à une politique de réconciliation qui nie leurs sacrifices et les enferme dans des aspirations financières immédiates. Mais ceux auprès desquels le MDS a pu exercer son influence arrivent, de plus en plus, à lier les revendications strictement matérielles aux nécessités politiques. Cette expérience démontre que notre mouvement doit savoir en permanence appuyer le mouvement social revendicatif et protestataire de façon responsable, même quand il est frappé de contradictions et à plus forte raison parce qu’il est soumis à des contradictions. Malheureusement nous n’avons pas suffisamment investi nos forces dans l’édification du Front de la décennie noire qui doit nous permettre de capitaliser sur notre position radicale et constante vis-à-vis de l’islamisme et constituer la véritable colonne vertébrale du large front que nous devons mettre en place.

39/Tout en développant avec force la lutte pour une rupture globale et radicale dans la voie de la démocratie politique et socio-économique, notre mouvement, n’a jamais délaissé ce qui peut faire avancer la cause générale de la démocratie à partir d’objectifs partiels, intermédiaires, même limités. Il a été de toutes les batailles, grandes ou petites, qui pouvaient faire avancer l’Algérie dans la voie de la stabilité et du progrès. Mais le MDS n’a pas eu assez confiance dans les nouveaux éléments qu’il a mis à jour dans sa ligne et n’a pas apporté, avec suffisamment de force et d’intelligence, la contradiction à la ligne poursuivie par le pouvoir. S’il ne l’a pas fait avec la résolution nécessaire c’est que la pression de la crise interne instrumentalisée par le pouvoir l’a empêché d’être en permanence tourné vers la société et l’a poussé à se fragiliser au contact des couches les moins favorables à la rupture. Le MDS doit donc travailler plus résolument dans le sens d’un aiguisement des contradictions ou se couler dans une évolution objective, en les orientant dans le sens du progrès au plan de la préparation des conditions subjectives, à savoir le renforcement du mouvement et du front. Il doit surtout continuer à rappeler les leçons de l’expérience : le changement démocratique est un tout indissoluble dont le noyau réside dans la question de l’Etat, de sa nature, de son essence.

40/Dans un camp démocratique qui s’est rétréci, le MDS n’est pas une force d’appoint, bonne à aller au feu, mais bien la seule qui ait résisté à la tentation du compromis avec l’islamisme et avec le despotisme et qui préserve entière la possibilité d’aller à la conquête du pouvoir de façon autonome. Il est clair, cependant, que c’est bien dans le statut de force d’appoint, utile pour battre l’islamisme, que voudrait nous confiner le pouvoir comme en atteste l’intérêt porté par Chourouk tv aux débats qui nous opposent principalement à des représentants de l’intégrisme. A la veille de la présidentielle, devons-nous accepter les manœuvres et la domination du pouvoir actuel comme une fatalité ou au contraire nous en saisir comme un moment que les contradictions vont finir par faire éclater? Tout laisse à penser qu’il va être, pourtant, extrêmement difficile de maintenir une posture d’opposition constructive, dans le prolongement des analyses faites en 2004 qui débouchaient sur la stratégie des deux fers au feu : rester disponible pour la transition au cas où l’évolution y engageait et se préparer à engager la bataille électorale. L’opacité qui règne ne gêne pas uniquement les candidats à la candidature. Et on peut craindre que toute clarification de la part du pouvoir ne s’accompagne de brutalité aussi bien au plan politico-idéologique qu’au plan socio-économique. Si l’impuissance à laquelle le pouvoir a condamné la classe politique nous frappe, il est clair qu’il n’a pas résolu la question de sa propre stabilité, liée elle-même à la prise en charge les tâches de la transition historique. Et, de ce point de vue, il est difficile de se convaincre que le pouvoir puisse s’extraire radicalement de l’idéologie islamo-nationaliste et des intérêts liés à la rente ainsi qu’à la spéculation, même s’il peut parfois prendre la mesure de certains enjeux.

41/Est-ce que la présidentielle peut-être un point d’inflexion notable ? Cette élection peut-elle ouvrir un nouveau cycle électoral ? De quelle nature ? Une nouvelle phase dans ce qui serait au final une transition très lente entamée par Bouteflika, une phase de reconstruction après une phase de rouleau compresseur ? Mais avec quels instruments et quel personnel politique l’Algérie pourrait-elle alors mener les réformes nécessaires ? Il paraît difficile d’espérer avancer dans la voie de la révolution démocratique en associant à l’exercice du pouvoir législatif et exécutif, rentiers corrompus invétérés et islamistes dont les intérêts s’y opposent fondamentalement et radicalement. Certains nous reprocherons alors notre refus du compromis et le considéreront comme significatif d’une inaptitude à faire des propositions. En réalité, c’est plutôt l’inverse, tant nous voyons toutes les forces qui se revendiquent du programme présidentiel être dans l’incapacité de proposer quoi que ce soit dans l’attente que Bouteflika se prononce sur chaque question et sur sa candidature en particulier. Nous ne devons pas, non plus, être mis sur la défensive à propos d’une prétendue impuissance à participer aux élections quand nous savons que certaines personnalités n’ont même pas eu, en voix, le nombre de signatures qu’elles avaient prétendument recueillies pour valider leur candidature. Enfin nous ne devons pas accepter d’être qualifiés d’irresponsables par ceux qui pourraient dire que nous souhaitons la chute du pouvoir à n’importe quel prix alors même que nous ne pouvons pas espérer, dans l’état organique où nous sommes, nous emparer de ce pouvoir. Nous voulons effectivement que le pouvoir tombe des mains de ses détenteurs actuels pour aller entre les mains de forces qui incarnent des intérêts plus avancés mais nous ne pouvons accepter de tomber dans l’immobilisme au prétexte que nous pourrions sombrer dans le chaos.

42/Le MDS ne peut que dénoncer la tentative de donner une justification théorique à une nouvelle combinaison électorale acrobatique. Et même l’idée d’une élection semi-ouverte ou plutôt une semi-cooptation est inacceptable. Ce n’est, au final, qu’une manière de contrarier une véritable élection ouverte en se prévalant d’un progrès en matière d’ouverture. Mais, au-delà de toutes ces considérations, le plus important consiste à apprécier le prochain scrutin à l’aune des enjeux et de la portée de la prochaine Présidence qui sera amenée à réaliser les tâches de transition abandonnées par Bouteflika. Donc ce qu’il faut évaluer, en premier, c’est non pas la sincérité du scrutin, ni même notre capacité à y participer, mais la possibilité réelle à ouvrir un débat sérieux et notre capacité à peser dans ce débat aussi bien à l’intérieur des institutions qu’à l’extérieur. Dans ce cadre, il nous faut formuler le mot d’ordre qui nous permette de mobiliser la société, répondre à ses attentes et préserver la perspective démocratique la plus radicale. La consultation présidentielle doit constituer un terrain pour une clarification politique et pour un progrès dans la construction du grand mouvement de gauche moderne dont a besoin la société. C’est pourquoi, notre mot d’ordre doit permettre aux camarades d’aller vers la société, de répondre à son désir de stabilité et de démasquer le pouvoir autant que ses prétendus opposants.

43/ Sans s’engager dans la perspective d’une transition au sens de mode de gouvernance, l’alliance qui se constitue autour du RCD et du MSP semble vouloir récupérer le boycott. Déjà chacun de ces deux partis a lancé un appel en ce sens. Ils espèrent, ainsi, se donner un poids artificiel en récupérant le rejet spontané de la société, dans le seul but de réaménager leur compromis avec le système. Leur boycott peut rencontrer, au mieux, une volonté de sanctionner le pouvoir mais n’exprime pas d’alternative. Cette alliance contre-nature autour du boycott n’est-elle pas constituée de partis qui ont d’ailleurs des élus et qui ont déjà participé au gouvernement ? Ils seraient d’ailleurs plus crédibles s’ils retiraient tous leurs élus. Et puis n’ont-ils pas apporté leurs encouragements à ce pouvoir dont aujourd’hui ils contestent la capacité à organiser une élection transparente et régulière ? Autant de contradictions les disqualifient. Exprimé par de telles forces, le boycott ne paraît pas préparer une sortie de crise mais au contraire être porteur d’une aggravation. Il souligne le caractère problématique d’une opposition dont les intérêts matériels et moraux semblent s’inscrire du même côté que ceux du pouvoir pour qui l’instabilité demeure une alliée. Ils minent l’une et l’autre l’Etat, se basent sur un compromis plus ou moins fort avec l’islamisme -contrariant ainsi la proclamation de la victoire sur ce dernier- et gangrènent l’économie nationale. Ils veulent amener le pays à abdiquer devant un choix arbitraire porteur de conséquences insupportables et contrarient la recherche d’une solution fondamentale et durable à la crise. Nous devons donc appeler à la vigilance et mettre en garde contre une tentative de dévoyer, une fois de plus, les aspirations de notre société. Ces partisans du boycott essaient de détourner des luttes et des sacrifices en donnant, au final, au candidat du pouvoir la possibilité de passer en faisant planer le spectre de la déstabilisation.

44/ Notre mot d’ordre doit prendre en charge différentes contraintes. La première c’est le très grand risque de voir le boycott dévoyé par des luttes internes au régime dont la crise s’exacerbe. La deuxième c’est que le pouvoir pèse sur les élections dès le début du processus par le contrôle despotique qu’il exerce sur les candidatures. Interdisant toute candidature ayant un potentiel de rupture, dans un sens ou l’autre. Notre consigne doit appeler à la résistance contre l’esprit de résignation que veulent imposer les uns et les autres. Aujourd’hui seul le vote blanc peut résonner comme un appel à voter non seulement contre les candidats du système, mais aussi pour un véritable projet alternatif, sans être soumis au filtrage exercé par le pouvoir. Un appel au vote blanc ne serait pas seulement une démarcation vis-à-vis du pouvoir qui veut aller à contre-sens de l’expérience de ces dernières années et de son opposition qui appelle au boycott, il marquerait un refus de la capitulation face à une tentative de trouver une nouvelle légitimité à un système obsolète, quelle que soit la forme dans laquelle il s’apprête à le faire. C’est l’esquisse d’un choix en faveur des propositions du MDS. En effet un tel appel permettrait qu’une consigne de vote nous soit attribuée indéniablement et constituerait une démarcation par rapport à nos adversaires aussi bien que par rapport à l’ennemi principal : le despotisme néolibéral. L’appel au vote blanc c’est une manière de refuser le chantage des uns et des autres, une manière de signifier que le changement auquel appelle la société consiste dans le rejet à la fois du compromis passé entre la classe politique et le système que d’une mascarade de changement que le pouvoir prétendrait incarner.

45/ Il ne faut pas avoir beaucoup d’espoir qu’un appel au vote blanc ouvre droit à une plus grande médiatisation, mais il pourra encourager un contrôle citoyen des résultats du scrutin, faire de la mobilisation de la société un puissant levier de changement. En même temps, un tel appel nous laisse ouvert autant à l’idée d’une conférence nationale en cas de rupture du processus actuel qu’à celle d’élections générales anticipées qui pourraient être convoquées par le futur Président de fait. Il nous faudra donc veiller à transformer la consigne d’un vote blanc en un appel à la société pour qu’elle prenne le pouvoir par les urnes en se mobilisant autour d’un projet alternatif à celui du pouvoir. Les semaines qui restent, avant la date du scrutin, pourront être mises à profit pour donner le contenu du projet. Un atelier permanent, ouvert aux forces de la société en lutte et traitant de l’alternative au plan politico-idéologique ainsi qu’au plan socio-économique pourra être d’une utilité décisive aussi bien pour donner de la chair à notre projet que pour mobiliser autour de notre consigne de vote. En particulier il s’agira de préciser le chemin pour entamer la réhabilitation de l’Etat et réformer la Constitution afin d’aller vers la 2ème république. Cet atelier devra se voir confier la tâche de reformuler les termes de l’identité nationale en affirmant l’algérianité et en assurant la séparation du politique et du religieux, de mettre fin à l’arbitraire, de consacrer les droits et libertés ainsi que l’égalité entre l’homme et la femme et refonder la classe politique sur la base de ses propositions pour une nouvelle Constitution et d’un projet de refonte du système électoral qui permette l’alternance démocratique. Les participants devront ouvrir le débat sur une réforme de l’armée pour en faire une institution transpartisane, fondée sur une stratégie de défense nationale, de souveraineté et de progrès. Ils auront enfin à réfléchir aux modalités à mettre en œuvre pour rejeter l’idée d’une amnistie générale et faire la vérité et rendre justice à toutes les victimes d’atteintes aux droits de l’homme depuis l’indépendance que ce soit de la part du pouvoir ou de l’islamisme.

Alger, le 7 février 2014

Alger, le 7 février 2014

Publié dans Politique

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